Boris Cyrulnik, alchimiste de la résilience


Entre raconter ou se taire après un traumatisme, les arts peuvent permettre de sublimer l’horreur et la douleur en l’exprimant de manière détournée, suggère Boris Cyrulnik, célèbre neuropsychiatre et écrivain français, lors d’une conférence à l’occasion de la semaine de sensibilisation à l’holocauste.

Le chercheur et vulgarisateur qui a introduit et développé la notion de résilience en France, est lui-même un survivant de l’holocauste (la Shoah) et pourrait incarner la résilience, à savoir la capacité de rebondir après avoir vécu un profond traumatisme et se reconstruire, mais différemment.

La résilience, c’est « reprendre un nouveau développement après une agonie psychique….  J’ai été K.O. par la guerre, par une agression sexuelle, par un malheur social, par une catastrophe naturelle…  K.O. ça veut dire Knock-out. Je ne peux plus penser… Je comprends pas. Comment en fait ? », explique Boris Cyrulnik.

Un élément crucial de ce processus passe par le partage de son traumatisme par le récit. En effet, selon Boris Cyrulnik, se taire entraînera un clivage de la personnalité chez la personne traumatisée.


POUR NE PAS ENFOUIR SON TRAUMATISME

En enfouissant le passé douloureux (en s’étourdissant par le travail chez certains), la personne traumatisée va se diviser, entre le passé et le présent, mais le trauma agira à son insu, prévient Boris Cyrulnik : « Je suis fatigué le matin, je fais des cauchemars, j’ai des moments de colère surprenante que je ne comprends pas moi-même, des bouffées d’angoisse d’où je ne sais d’où ça me vient. »

Pour guérir, recoudre les deux bords d’une plaie profonde, réconcilier deux parties de sa vie, la communication serait déterminante pour la cicatrisation psychologique, selon Boris Cyrulnik.

Par contre, si une personne partage l’horreur qu’elle a connue trop directement, son entourage (famille voire société) refusera de la croire, explique Boris Cyrulnik. Il faudra donc passer par un tiers, une manière détournée comme les arts, l’écriture ou l’engagement social, sorte de diplomatie de la douleur. 

Le neuropsychiatre confie avoir lui-même dû se taire pendant très longtemps sur son propre malheur. Né en 1937 à Bordeaux, il réussit à s’échapper d’une synagogue lors d’une rafle de Juifs pendant la guerre, mais ses parents ont péri dans un camp de concentration.


SA PROPRE HISTOIRE ENFiN RACONTÉE

Dans son plus récent ouvrage « Sauve-toi, la vie t’appelle », Boris Cyrulnik se permet enfin ce récit, à 75 ans, en prenant soin de débusquer les pièges de la mémoire. Car les souvenirs peuvent être déformés puisque la mémoire est sélective, a précisé le neuropsychiatre. Il explique donc s’être appliqué dans cet ouvrage à mener un travail d’enquête pour tenter de corroborer ses propres souvenirs.

Mais, parallèlement, se repasser sans cesse le film de son traumatisme peut aussi être noçif, a rappelé Boris Cyrulnik. Ainsi, le fait d coucher sur la feuille ce récit douloureux pourrait finalement prolonger ou raviver le traumatisme si la narration est trop détaillée, trop réaliste. Mais il est aussi possible de remanier la mémoire et ne plus être « prisonnier du passé ». À nouveau, l’écriture et la narration par personnages interposés pourrait être salutaire, a expliqué Boris Cyrulnik lors de sa première conférence gratuite à Toronto « Traumatisme et écriture »,  présentée au Collège Glendon de l’Université York, en collaboration avec la Fondation Azrieli, le Consulat général de France, le Neuberger Holocaust Centre et l’Alliance française de Toronto, devant une cinquantaine de personnes, le samedi 2 novembre 2013.


LA PENSEE TOTALITAIRE

Lors de sa deuxième conférence, le lendemain, Boris Cyrulnik a analysé la pensée totalitaire, à savoir « un pensée paresseuse » où les adeptes seraient « pris dans un système anormal qui mène à la création d’un système pathologiquement normal » par le refus de l’altérité. Ce système « anormalement cohérent est coupé du doute, du réel » sera renforcé par la haine de l’autre et ne tolèrera pas la dissidence, jusqu’à éliminer ses détracteurs.

Un système totalitaire se différencie d’une dictature ou d’un tyrannie par cette notion de réalité doublé d’une dimension affective, ajoute Boris Cyrulnik.« On tombe amoureux du chef vénéré » à l’image d’un petit garçon qui tombe amoureux de loin d’une petite fille qu’il ne connaît pas, a précisé Boris Cyrulnik, lors d’une journée de formation professionnelle pour les enseignants(es) francophones de l'Ontario, rassemblant une dizaine de personnes au Collège Glendon de l’Université York le dimanche matin 3 novembre 2013.


PENSEE SYSTEMIQUE AVANT RAISONNEMENT LINEAIRE

Lors de sa troisième conférence, Boris Cyrulnik a évoqué l’importance de la pensée systémique plutôt qu’une démarche linéaire, en après-midi à l’Alliance française de Toronto, organisée avec le concours de l’Association des anciens élèves des grandes écoles françaises de Toronto.

Devant une quarantaine de personnes, la formation de Boris Cylulnik en éthologie est sans doute remontée à la surface, en soulignant que l’acquis, les influences environnementales (« la niche sensorielle » d’une personne à savoir les sensations, les stimulations qui proviennent de l’entourage, de l’environnement ambiant d’un individu) façonnent l’inné, la génétique, notamment en matière de la plasticité du cerveau.

Le dimanche soir, Boris Cyrulnik a participé au lancement de cinq nouveaux courts-métrages dans le cadre du Programme des mémoires de survivants de l’Holocauste de la Fondation Azrieli, au Queen Elizabeth Theatre sur le site de l’Exposition nationale canadienne (CNE).

Au terme d’un marathon de trois jours, le directeur d’enseignement à l’Université de Toulon-Sud a donné une conférence en anglais au département de psychiatrie de l’Université de Toronto le lundi 4 novembre sur la mémoire traumatique.


Renseignements : www.azrielifoundation.org.

7 novembre 2013

Entre dire ou ne pas dire, la cicatrisation affective passerait par la communication via les arts.

Entrevue exclusive

(vidéos ci-dessous):


Boris Cyrulnik, sur la résilience, comment apprendre la résilience et migration et santé mentale

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B. Cyrulnik : une vie pour comprendre les humains


Calme et posé. Le verbe toujours précis, énoncé d’une voix douce, à la diction régulière teintée parfois de légers échos méridionaux.

    Une mémoire des noms infaillible. Une connaissance multidisciplinaire qui s’étend à perte de vue. Un humour omniprésent.

     Et sans doute la générosité et la gentillesse de celui qui a été meurtri par la vie et qui, plutôt que de chercher à se venger, s’efforce de faire le bien, alchimiste du malheur sublimant la douleur par la résilience.

    Boris Cyrulnik, né à Bordeaux le 26 juillet 1937, sera placé en pension dès cinq ans par ses parents, arrêtés et déportés en 1942.

     Vers la fin de la guerre, arrêté lui-même par la Gestapo à l’âge de six ans et emprisonné avec d’autres enfants juifs à la Grande Synagogue de Bordeaux, il réussira à s’échapper, grâce notamment à une maîtresse d’école puis à une infirmière qui passait dans la rue.

    Après la guerre, l’orphelin dont les parents ont péri en déportation est balloté par l’Assistance publique pour finalement être recueilli par une tante, sa « mère d’accueil »  Cet attachement affectif a semble-t-il contribué à permettre au petit garçon de reprendre son parcours.

    Dès l’âge de 11 ans, l’homme semble n’avoir de cesse que de tenter de comprendre le fonctionnement de l’être humain. Qui sait, pour tenter de s’expliquer l’horreur dont il avait été victime ? Aider les autres à se remettre sur pied ?

    Après des études de médecine, il continue sa quête. Il diversifie sa formation pour trouver d’autres morceaux de ce puzzle, en neurologie, en psychiatrie, en psychanalyse, en éthologie (étude des mœurs et du comportement individuel et social des animaux domestiques et sauvages et science qui a pour objet l'étude des mœurs humaines en tant que faits sociaux),

    Mais ses premières années tragiques demeureront cachées pendant longtemps. Au sortir de la guerre, interrogé  par des « adultes » sur ce qu’il avait vécu, Boris Cyrulnik raconte s’être fait donner des « mais où vas-tu chercher des choses pareilles », ce qui complètera l’enfouissement de son propre traumatisme.

    Au fil des décennies, le contexte culturel a évolué. (Le procès de Maurice Papon, condamné en 1998 après 16 ans de procès, pour complicité de crime contre l’humanité pour avoir apporté son « concours actif »  à l’arrestation et à la déportation de 72 victimes alors qu’il était secrétaire général de la préfecture régionale de la Gironde entre 1942 et 1944, a notamment contribué à ce changement de prise de conscience dans la société française, souligne Boris Cyrulnik.)

    C’est donc à 75 ans que l’orphelin à cause du génocide des Juifs par l’Allemagne nazie d’Hitler, s’est autorisé à revisiter sa « crypte », publier ses mémoires, faire le récit des souvenirs enfouis car trop douloureux pour les raconter aux autres. Et trop douloureux pour lui-même après des années de déni d'« une enfance fracassée ».

Boris Cyrulnik lors de sa conférence « Traumatisme et écriture », à l'occasion de la semaine de sensibilisation à l'Holocauste, à Toronto.

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