Les deux candidats en lice au deuxième tour des législatives françaises dans la 1ère circonscription de l'étranger (Amérique du Nord) seraient au coude à coude et les votes centristes et d’extrême droite feront la différence.
Corinne Narassiguin (Socialistes/Europe écologie-Les verts) a recueilli 39,65 % du vote au 1er tour et Frédéric Lefebvre (UMP) 22,08 %. Le scrutin au second tour s'annonce toutefois fort serré, si les reports de voix se matérialisent samedi 16 juin prochain.
La droite a en effet resserré ses rangs après les divisions du 1er tour entre cinq candidats (reflétant en partie une résistance face au « parachuté » de l’UMP depuis Paris, Frédéric Lefèvbre, qui n’est d’ailleurs pas inscrit dans cette 1ère circonscription d’Amérique du Nord). Émile Servan-Schreiber, Julien Balkany, Antoine Treuille et Gérard Michon ont ainsi tous appelé à voter pour le candidat UMP, au même titre que le candidat indépendant Philippe Manteau.
Les voix des six candidats divers droite au premier tour représentaient 44,12 % des suffrages, contre 43,92 % pour la gauche (Céline Clément, Stéphane Bowring et Karel Vereycken.)
Entre ces deux blocs, les centristes ont récolté 4,94 % des voix (Carole Granade, Modem, qui n’a donné aucune consigne de vote pour le second tour). Enfin, l’extrême droite a reçu 4,29 % des suffrages (Claire Savreux, Front National, pas de consigne de vote non plus).
(Parallèlement, une défection de dernière minute à droite - un soutien au 1er tour du candidat Julien Balkany, a été annoncée trois jours avant le scrutin du 2e tour : Mike Remondeau (Le cercle des Nord-Américains) a appelé à voter Corinne Narrassiguin le jeudi 14 juin, bien que certes symboliquement, n'ayant obtenu que seulement 0,02 % des voix au 1er tour.)
Au 2e tour de la présidentielle, François Hollande avait obtenu 46 % des suffrages et Nicolas Sarkazoy 54 % des voix dans cette 1ère circonscription de l'étranger qui englobe le Canada et les États-Unis.
CLIVAGE LOCAL/PARACHUTÉ OU DROITE/GAUCHE ?
Mais selon Corinne Narassiguin, le report de voix à droite pourrait ne pas s'effectuer automatiquement, en raison notamment du parachutage du candidat à droite qui passerait mal chez certains électeurs.
« J’ai rencontré plus d’un [électeur de la droite] qui sont prêts à voter pour moi parce que justement ils veulent un député qui comprend leurs problèmes … qui a cette expérience de Française d'Amérique du Nord… Par rapport à un député, Frédéric Lefèvbre, s’il est élu, qui débarque en Amérique du Nord », explique Corinne Narassiguin, au téléphone depuis New York où elle réside depuis 13 ans.
Ce clivage local/parachuté plutôt que droite/gauche se confirme dans les consignes de vote de Mike Remondeau qui explique vouloir « bloquer un ex-ministre parachuté depuis Paris qui n'a aucun rapport avec nous Français d'Amérique. Le droit d'être représenté est une opportunité unique pour nous tous qui va plus loin que l'éternelle bataille entre la gauche et la droite... [Corinne Narassiguin] saura aussi être à l'écoute des électeurs et électrices, qui comme moi ne sont pas socialistes mais ont choisi de lui faire confiance. »
Pour sa part, Frédéric Lefèvbre, malgré quatre demandes d’entrevue, n’a pas donné suite à nos démarches pour recueillir son analyse de la dynamique de l’entre deux tours.
Lors d’une entrevue croisée entre les deux candidats à l’antenne de Radio-Canada à Montréal le vendredi 8 juin dernier, Frédéric Lefèvbre a fait valoir avoir habité quelques années en Amérique du Nord dans son enfance, compter de nombreux amis dans la circonscription et être un « globe-trotter »... (Parallèlement, Frédéric Lefèvbre aurait annoncé peu avant l’émission, soit à la dernière minute, qu’il ne participerait pas au débat entre les deux candidats prévu pour le 11 juin, alors qu’il n’avait pas non plus souhaiter participer au débat des candidats avant le 1er tour.)
Au centre, Corinne Narassiguin indique également pouvoir attirer des électeurs de Carole Grenade. La New-Yorkaise d’adoption estime avoir entendu au cours de sa campagne avant le premier tour « beaucoup plus de personnes… qui étaient éventuellement plus tentées par le vote Modem du premier tour… qui avaient beaucoup plus l'intention de se reporter sur moi au deuxième que sur un candidat de la droite. »
Les « convergences » des projets et une meilleure connaissance des préoccupations des expatriés joueraient, aux yeux des électeurs centristes, en la faveur de la candidate Socialiste-Europe Écologie les Verts,, selon Corinne Narassiguin. « Voter pour quelqu'un qui soit capable vraiment de représenter les Français d'Amérique du Nord, qui soit quelqu'un de local… cet aspect-là est quand même non-négligeable [pour ces électeurs] », précise Corinne Narassiguin.
Ainsi, en filigrane de ces toutes premières élections législatives pour élire de représentants des Français de l'étranger à l’Assemblée nationale, se dessine la question de savoir si un député doit vivre dans une circonscription éloignée pour représenter des citoyens expatriés (Voir encadré ci-dessous).
Aux yeux des expatriés de longue date, qui ont vécu et qui vivent au jour le jour ce processus graduel de métissage lorsque l’on vit à l’étranger, une expérience de vie hors de son pays d’origine, qui plus est sur le continent qu’un député ambitionne de représenter, semblera couler de source. Par contre, une fois élu(e), les contraintes géographiques de l’éloignement permettront-elles à un ou une député(e) de rester dans sa circonscription ?
Au final, il faudrait que le taux de participation des expatriés d’Amérique du Nord au second tour dépasse de loin les maigres 20,4 % du premier tour, pour que leur député(e) puisse disposer d’une réelle légitimité.
INTERNET ET LES DÉPUTÉS DU XXIE SIECLE
UN DÉPUTÉ DE L'ÉTRANGER DEVRAIT-IL RÉSIDER DANS SA CIRCONSCRIPTION ?
Une fois élu(e), le ou la député(e) d'Amérique du Nord pourra-t-il ou elle continuer de vivre sur ce continent, étant donné le calendrier parlementaire chargé et l'éloignement géographique? L'Assemblée nationale siège normalement d’octobre à juin (séance ordinaire), soit neuf mois, avec toutefois un plafonnement de 120 jours de séance.
La nouveauté de poste de député des Français de l'étranger ne permet pas de trancher, reconnaît Corinne Narassiguin. « Je pense que je verrais à l'usage. Comme personne n'a jamais vraiment fait ce travail, je pense que c'est difficile d'annoncer exactement combien de jours je passerais par an dans chaque ville de la circonscription par rapport au temps passé à Paris. »
« Je pense qu'il est bien évident que quand même la majorité du temps de l'année je serais à Paris, parce qu’il faut faire le travail parlementaire pour être efficace. Cela ne sert à rien que je sois dans la circonscription en permanence si je ne suis pas les travaux en commissions, si je ne peux pas faire entendre la voix de nos compatriotes en Amérique du Nord… à Paris si je ne suis pas là. »
Corinne Narassiguin explique toutefois que l’exemple des sénateurs représentant les Français de l’étranger montre qu’il est possible de voyager jusqu’à deux semaines à la fois en fonction du calendrier parlementaire.
Corinne Narassiguin ajoute espérer pouvoir garder un « pied à terre » en Amérique du Nord, « au minimum un bureau… de préférence dans la région de New-York. » Mais que les moyens de ces nouveaux députés de l'étranger n'ont pas encore été fixés par décret, précise Corinne Narassiguin, qui aimerait pouvoir engager un collaborateur parlementaire et rester ainsi implantée dans la circonscription.
Toutefois, elle concède être certainement obligée de déménager en France, car elle « n’aura pas les moyens de maintenir un logement à l’année à New York », mais espère pouvoir y disposer d’un bureau-appartement. Mais au bout du compte, elle quitterait l’Amérique du Nord.
Étrangement, la candidate députée expatriée qui fait campagne contre un parachuté, pourrait être considérée comme une parachutée elle-même cinq ans plus tard et être ainsi finalement sur un pied d’égalité avec son opposant actuel.
« La question du parachutage, ce n’est pas la même chose. C’est la question d’avoir quelqu’un qui veut nous représenter et qui ne connait rien à qui on est et en plus qui essaie de nous expliquer ce qu’est un Français en Amérique du Nord… Lui n’a jamais vécu ici. Il n’a aucune expérience de l’expatriation, de ce que cela veut dire d’être un Français de l’étranger, encore moins un Français d’Amérique du Nord… »
Par contre après un mandat de cinq ans de députée vivant la majorité du temps en métropole, l’ancienne expatriée ne finirait-elle pas par perdre cette sensibilité de Française à l’étranger ?
« Je crois qu’on n’oublie pas, on ne perd pas 13 années de vie à l’étranger », répond Corinne Narassiguin. « J’ai passé l’essentiel de ma vie d’adulte en Amérique du Nord, c’est quelque chose que l’on ne peut pas effacer comme cela. Par ailleurs, je compte bien garder un contact permanent avec les concitoyens de la circonscription. J'ai passé un an et demi [de campagne électorale] à construire un large réseau… sur lequel je compte m'appuyer pour rester en contact permanent avec la réalité du terrain. »
Parallèlement, l'ingénieure en télécommunications (et dernièrement vice-présidente dans le secteur privé) aurait recours à Internet et notamment grâce à une « plateforme wiki… pour faire des remontées de terrain » pour rester présente virtuellement dans sa circonscription, lorsque la députée siégerait à l’Assemblée nationale à Paris. « Je compte justement, à l’image de la campagne que j'ai menée, de trouver un équilibre entre le travail qu'il y aura à faire à Paris, mais aussi la présence sur le terrain [par les voyages] et la proximité par Internet. »
Les nouvelles technologies de communication permettront-elles à ces députés du XXIe siècle, issus de la nouvelle vague de mondialisation et de diasporas, en grande partie déclenchées par ces même technologies ?
Rendez-vous pendant la campagne de 2017…